Cela semble absurde, et j’ai été choqué la première fois que je l’ai compris, mais la France – il n'y a pas d'autre mot – est bien un paradis fiscal pour milliardaire.
Jusqu'à récemment, on ignorait le montant d'impôt sur le revenu payé par nos plus grandes fortunes.
Mais récemment grâce à un travail admirable de mes collègues de l'Institut des Politiques Publiques, cette opacité a commencé à se dissiper.
Le résultat principal de leur travail est que les milliardaires (le point le plus à droite du graphique) ne payent quasiment pas d'impôt sur le revenu (ni d'impôt sur la fortune quand il existait : l'étude porte sur l'année 2016).
On peut débattre du dénominateur le plus approprié pour calculer le taux effectif des milliardaires : revenu économique, patrimoine, etc., mais cela n'a guère d'importance.
Le point clé est que le numérateur (le montant d'impôt sur le revenu payé) est minuscule, moins de 1% des recettes d'impôt sur le revenu totales.
Concrètement, si tous nos milliardaires partaient demain s'installer aux îles Caïmans, leur facture fiscale baisserait peu (car elle est très faible).
La perte de recettes fiscales pour le Trésor public français serait négligeable (de l'ordre de 0,03 % du PIB).
Comment est-ce possible ? Cela vient du fait que les milliardaires français touchent quasiment tous leurs revenus via des sociétés écran, appelées holdings familiales.
Ces sociétés, comme le nom l'indique, font écran à l'impôt : les revenus qui s'y accumulent ne sont pas taxés.
Ces revenus sont néanmoins bien réels, et ne sont en aucun sens "coincés" : ils peuvent être utilisés pour réinvestir, pour acheter des journaux, des yachts, de l'immobilier, pour de la philanthropie...
Tout ce que l'on peut vouloir faire, en somme, à ce niveau de fortune.
Si nos milliardaires partaient s'installer aux Etats-Unis, pays pourtant peu réputé aujourd'hui pour sa fiscalité excessive, ils paieraient davantage d'impôt.
Car aux Etats-Unis, l'évitement de l'impôt sur le revenu via les holdings n'est plus accepté depuis les années 1930.
Les revenus perçus par les holdings sont immédiatement fiscalisés, comme s'ils avaient été perçus directement par les personnes qui les contrôlent.
Illustration concrète : en 2024, Bernard Arnault a touché environ 3 milliards d'euros de dividendes LVMH.
Ceux-ci n'ont pas été soumis à la "flat tax" de 30 %, car ils vont à sa holding -> pas d'impôt sur le revenu payé en France.
Mais si M. Arnault déménageait à New York, ces 3 milliards seraient immédiatement soumis à l'impôt sur le revenu américain (23,8% fédéral + 14,8% à New York) -> 1,1 milliard d'impôt sur le revenu à payer.
C’est ce dont s'acquitte quelqu'un comme Bill Gates, qui touche des milliards de dividendes Microsoft.
Certains milliardaires américains ont trouvé d'autres techniques d'évasion, mais en moyenne ils payent plus que nos Français (la barre est basse, certes).
La France est donc bien un paradis fiscal pour milliardaires.
Mais ce n'est pas le seul ! Comme on le voit sur le graphique précédent, la situation est la même, par exemple, aux Pays-Bas.
C’est l'Europe dans son ensemble qui est un paradis fiscal pour milliardaires.
Par ailleurs, il est utile d'élargir la focale et de regarder les prélèvements obligatoires dans leur ensemble, au-delà de l'IR/CSG et ISF/IFI.
Prenons maintenant en compte l'ensemble des prélèvements obligatoires, y compris TVA, cotisations sociales, impôt sur les sociétés, etc.
En moyenne tous prélèvements compris les Français payent à peu près 52 % de leurs revenus en impôts (pas de miracle, c'est le taux de prélèvement obligatoire de la France).
Mais les milliardaires payent à peu près deux fois moins : de l'ordre de 27 %.
D’où vient ce 27 %? Pas de l'impôt sur le revenu, puisque celui ci est quasi nul, mais de l'impôt sur les sociétés.
C'est-à-dire que si l'on compte l'impôt sur les sociétés payé par LVMH comme étant payé par B. Arnault (et par les autres actionnaires de LVMH), alors le taux d'imposition des milliardaires monte à 27%.
C'est mieux que 0, mais cela n'enlève pas à la France son statut de paradis fiscal pour milliardaire, pour deux raisons.
1. Une grande partie de ces 27 % sont payés non pas à la France, mais à la Chine, aux USA, etc. (là où opèrent nos multinationales).
2. Surtout, cet impôt sur les sociétés payé ne dépend pas de la résidence des actionnaires : il resterait inchangé même si nos grandes fortunes choisissaient de s'installer dans un paradis fiscal.
Tous prélèvements compris, nos milliardaires ne paieraient pas moins en déménageant aux Îles Caïmans.
Alors qu'est-ce que l'on fait ?
Dans une prochaine newsletter, j'expliquerai les solutions concrètes qui existent pour résoudre ce problème, ici et maintenant.